Pierre GUICHETEAU
«  Moi j’aime le verger, j'y vois ce qui est beau et bon »

Pierre Guicheteau en 2013
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diplome de 1986
ordre du mérite agricole 1990 diplome de 1965

Les habitués du Jardin-école connaissent sans doute par cœur cette petite pomme rigolote, souriante et pleine de vie qui orne les bouteilles de jus de pomme du Domaine de Pomamour, chez Pierre et Bernard Guicheteau, père et fils. C’est aujourd’hui en Seine et Marne, dans l’exploitation familiale de Gressy que nous rencontrons Pierre Guicheteau pour parler de sa vie, de ses pommes et de son amour du métier.

Une famille, une histoire

Pierre Guicheteau est né le 11 juin 1932 à Villemomble, allée Villebois Mareuil. Ses deux parents faisaient le commerce de fruits et légumes sur les marchés de Villemomble et leurs quatre enfants suivront eux aussi la voie du commerce. En effet, la sœur ainée de Pierre choisit la triperie dans la même ville alors que les frères cadets prennent le relais de leur père dans la vente de fruits et légumes, l'un sur les emplacements du père à Villemomble, l'autre sur d'autres marchés de la région.
Pierre, quant à lui, s'oriente vers l'horticulture. Dans son enfance, Pierre fréquente des familles réputées dans le milieu de l'horticulture, les Beausse, Giraudy, Gusminet, Moregard, Robin ... 

Les racines de l’entreprise actuelle de Gressy se trouvent aussi dans la région parisienne, tout comme elle reste une affaire de famille puisque Bernard, le fils de Pierre, aidait son père après l’école. Leurs terrains se trouvent alors à Rosny, au chemin de la levée, et à Chelles et produisent des poires Comice et des pommes, en particulier des canada et les premières américaines qui étaient sorties.
 

1962 marque un tournant pour l’entreprise puisqu’expropriée de ses terrains par la construction d’un stade à Rosny et d’une grande surface à Chelles (le stade est baptisé "Giraudy", du nom du propriétaire auquel Pierre avait acheté le terrain). La famille déménage à Gressy et c’est la mise en place, sur une terre nue de cinq hectares, d’une plantation pensée pour une exploitation moderne (écartements permettant le passage d’outillages modernes). C’est la fin du « motoculteur et du binage à la main ». Le verger s’étoffe de nombreuses variétés de pommes telles que prime rouge, gala, reine des reinettes, canada grise, jubilé, elstar, pink rose, golden grise ou encore freyberg, véritable fleuron de la pomme au goût de bonbon anglais. Car il faut faire face à une réalité actuelle : « la production de pomme rare et de qualité, c’est ce que l’on vend bien ». 

L’achat ne s’est par ailleurs pas fait sans difficulté puisque pour trouver les fonds, Pierre est obligé de s’associer avec un jardinier, président des jardiniers de Bobigny, et les deux hommes, en mettant leurs fonds d’expropriation en commun, acquièrent ce terrain moyennant cinq ans de partenariat. Au terme de ce délai, chacun des deux investisseurs reprend ses capitaux et ses deux hectares et demi. A cette échéance, c’est le fils de Pierre, Bernard, qui reprend la seconde part et voilà père et fils associés avant que Bernard ne prenne plus tard totalement la relève.

La création du jus de pomme est, quant à elle, une idée de Pierre conçue comme un « sauvetage » pour les années de grêle afin de ne pas perdre les pommes abimées devenues invendables. Un pari risqué comme il se le rappelle car «il y en avait  beaucoup qui avait essayé avant et qui avaient coulé ». Pierre guicheteau obtiendra en 1986 la médaille d'or du concours général agricole pour son jus de pomme. Aujourd’hui, l’exploitation en produit dix milles litres par an dont les bouteilles sont vendues à la fois à Rungis et dans la boutique de Gressy.

Les halles, avant et après

C’est d’ailleurs toute la production actuelle, fruits et jus, qui est aujourd’hui vendue aux halles de Rungis dans le Pavillon des producteurs, un pavillon consacré aux petits producteurs de la région parisienne à côté des grands consortiums. Mais les pressions sont constantes, comme les décrit Pierre Guicheteau : « Sans cela (l’appui de la région parisienne qui possède des parts dans les halles), on serait balayés, d’ailleurs ils cherchent à nous balayer, ils nous étouffent pour l’instant. On était 800, on doit être une centaine maintenant en fruits et légumes. »

Mais c’est le changement de tout un système dont Pierre a été témoin, avec tout d’abord la mise en place de la grande distribution ainsi que l’effet néfaste de la télévision et de la radio sur le commerce des aliments frais. En effet comment fixer les prix si les médias en véhiculent déjà qui ne sont d’ailleurs pas forcément en rapport avec la réalité ? Il faut en effet considérer que si, dans le passé, 1 hectare de terre faisait vivre toute la famille, aujourd’hui, il faut compter pour cela 7 à 8 hectares, un employé à temps plein et deux saisonniers pour la récolte.

 Des anciennes halles de Paris, où les producteurs avaient leurs place, aux halles actuelles, les changements successifs ont eu raison des petits clients tels que les supérettes ou les épiciers et c’est tout le système de vente qui s’est transformé avec notamment la part plus importante des exportations. On croirait désormais être à la bourse. « s’ils vendent, ils appellent selon ce qu’ils vendent chez eux. Ils sont reliés par le téléphone à deux ou trois copains : untel a ça, toc, tel prix. On n’a plus la vente aux gens qui passaient, qui regardaient, des connaisseurs en fait. Ils sont connaisseurs quand même mais ils ne veulent que du beau pas cher. Ils sont un petit peu comme le client qui achète au détail, il n’y a que l’étiquette qui compte ». Soumise ainsi à la spéculation, la vente « est devenue artificielle ».

La grande folie à l’heure actuelle, c’est l’argent. « Vouloir plus, toujours plus, ça c’est un grave défaut ! ».

On semble bien loin de l’image des halles parisiennes sur lesquelles le boulevard Sébastopol était barré par les caisses de fruits et de légumes et où, entre minuit et quatre heures du matin, les livreurs vaquaient dans un ballet incessant entre les différents pavillons jusqu’à ce que, à six heures, la cloche retentisse, signalant le début de la vente.

Un travail, une passion

Ce qui n’a rien d’artificiel en revanche, c’est l’attachement de Pierre pour son métier et sa vision d’un travail-passion qui donne autant qu’on lui donne.

"Son verger, ce n'est pas le tout de le faire, il faut l'aimer. Et on ne l'aime qu'au bout de plusieurs années. On le voit fleurir, on taille, on espère avoir beaucoup de fruits ...".

Mais ce n'est qu'une seule fois par an, à la récolte, que l'horticulteur mesure le résultat, même si cette étape n'est qu'une infime partie du travail, des techniques qu'il faut maitriser et de la passion qu'il faut y mettre. Et même si les conditions climatiques ont été mauvaises et que le moral est en baisse, il faut trouver néanmoins le courage de repartir pour une nouvelle saison pleine d'interrogations.

L’épanouissement de l’homme dans la passion pour son travail, dans son amour pour la vie, voilà sans doute l’idée maîtresse de cet entretien :

"C'est très difficile d'aimer ce métier, la sagesse vient en vieillissant. La vraie pensée, c'est de se dire qu'on est heureux dans ce qu'on fait. De toutes façons, on est d'abord en pleine forme, puis, plus on va vers la retraite plus on y perd. Et entre temps, il y a les maladies, tout ça, comme pour les arbres. Alors il faut s'estimer heureux, c'est tout !"

Tiphaine Bacquet et Christian Voisinet

Pierre Guicheteau au carreau des producteurs de  Rungis Dans sa boutique de Gressy Mise en bouteille du jus de pomme Le verger de Pomamour à Gressy Le verger de Pomamour à Gressy

Bernard Guicheteau au Jardin-école de Montreuil L'entrepôt de gressy