Les roses blanches de Céline Graindorge
Eliane Graindorge
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Vue de la parcelle de la famille Graindorge, située entre Bagnolet et Montreuil, en place de l’actuelle autoroute A3
Eliane  dans les bras de sa mère, son père et son grand pére au pied des serres amovibles mises en place au printemps pour la cultures des roses blanches




Mr et Mme Caliez dans leur jardin de Montreuil. A l'arrière-plan, les pommes Calville ensachées
de droite à gauche :  Madame Trottignon, Céline   Graindorge, Eliane Graindorge, sa grand mère et une amie de la famille
Les grand parents d’Eliane devant La facade de la maison familiale couverte de poiriers en espalier au 92 rue de montreuil à Bagnolet
vue sur les serres et les murs à pêches

Mme et M. Caliez possèdent à Montreuil une jolie parcelle de verger cachée par de hauts murs à pêches. Leur jardin–verger est un petit paradis soigné, bichonné, entretenu à l’ancienne. Les arbres, vieux de plusieurs décennies, sont palissés sur de hauts murs à pêches qui entourent et structurent le jardin. Chaque année, comme leurs parents et eux-mêmes l’ont toujours fait, Eliane et Roger Caliez ensachent les fruits dans des sachets en papier. Ils produisent essentiellement des pommes Calville pour une consommation uniquement familiale. Cueillies début octobre, les pommes sont entreposées dans une pièce servant de fruitier dans la partie basse de leur maison. Elles seront consommées à Noël. Des gestes de taille, d’éclaircissage, d’ensachage, de cueillette… répétés depuis toujours, qui trahissent leurs origines venant d’une des plus grandes familles d’arboriculteurs de Bagnolet.

 A Bagnolet depuis toujours

Originaire de Normandie, « la famille Graindorge s’est implantée à Bagnolet depuis toujours », explique Eliane Caliez, née Graindorge. Les traces les plus anciennes de cette famille sur Bagnolet datent de 1760. Le père d’Eliane, Louis Graindorge a repris en 1926 l’exploitation de son père, Henri Graindorge : une magnifique parcelle de 10 000 m2 d’un seul tenant située entre le 92, rue de Montreuil et la rue de la Noue. Une parcelle remarquable par sa surface, la qualité de son entretien et la diversité de ses productions mais qui finira tragiquement en 1962, engloutie sous l’autoroute A3. Trente six années de production par Louis et Céline Graindorge où fruits et fleurs cohabitent en harmonie au long des saisons. Sur la parcelle, les murs sont couverts de formes palissées. C’était l’époque à laquelle les pommiers et les poiriers avaient remplacé les pêchers. Eliane se rappelle des variétés que cultivaient ses parents : Comice, Doyenné d’hiver, Passe-crassane, Calville, Canada. A l’intérieur des parcelles se succédaient, de mi-mars à fin novembre, les fleurs, des annuelles et des vivaces : narcisses, jonquilles, tulipes, pivoines, œillets mignardise et œillets à couper, phlox, gypsophile, dahlia, chrysanthèmes…mais la spécialité des Graindorge était surtout la production de roses : « il y avait de nombreuses variétés de roses, mais la rose blanche était le domaine réservé de maman », explique Eliane. Une spécialité qui a poussé Louis Graindorge à développer des techniques novatrices pour son époque…

 Des serres pour la Frau

Une serre adossée à un hangar permettait de cultiver les plans de rosiers. Les rosiers de production étaient plantés au milieu des parcelles. Chaque mois de mars, des serres amovibles étaient dressées afin de forcer la production de roses. Roger Caliez se rappelle avoir aidé son beau père à installer les serres : « elles étaient bâties avec des pieux plantés dans la terre, sur le côté on plaçait des planches de Lorraine d’environ 25 cm par 2 mètres de long qui étaient clouées sur les pieux. Enfin, de grands châssis recouvraient cette structure ». Ainsi, chaque année, quatre grandes serres étaient mises en place pour forcer la rose blanche de Montreuil et servaient en arrière saison à protéger les chrysanthèmes. Si la température extérieure devenait trop basse, un système de chauffage au feu de bois permettait de maintenir les plantes hors gel. L’entretien de cette structure occupait les hommes l’hiver : remplacer les verres cassés, et les pièces de bois abîmées.

La cueillette : un rituel quotidien

 Céline Graindorge était connue pour ses roses blanches. Elle les commercialisait si bien, qu’Eliane nous confie : « elle a demandé à mon père d’étendre la surface de serre pour produire davantage de roses ». Et comme pour donner un air de noblesse à cette rose, son nom usuel était la "frau"se souvient encore Eliane, puis de la décrire « c’était une rose magnifique avec une longue tige portant une unique tête de 5 à 6 cm de haut. Elle se cueillait très en bouton. Elle avait un parfum délicat, c’était vraiment une belle rose ». La cueillette était un véritable rituel dont Céline Graindorge orchestrait les moindres détails. Les roses étaient cueillies tôt le matin et chargées sur une brouette équipée de claies en osier afin de transporter un grand nombre de fleurs sans les abîmer. Tous les boutons étaient placés bien rangés du même côté puis les roses étaient entreposées dans le local de bottelage. Dès son retour des Halles de Paris, Céline Graindorge commençait à préparer ses roses pour la vente du lendemain. Une salle à côté de la maison familiale était consacrée à cette activité. Eliane se rappelle : « ma mère portait son tablier bleu et une petite botte de raphia à la ceinture. Sur une table immense étaient posées toutes les roses du matin. Elle les triait en fonction de la longueur de la tige en trois catégories. Il y avait toujours plusieurs tas sur la table et au fur et à mesure, elle les bottelait avec du raphia par bottes de 12 roses. Enfin, les roses étaient placées dans des bacs contenant de l’eau puis entreposées dans une cave en terre battue, à l’obscurité ».  Il fallait ensuite préparer les paniers en osier pour le transport aux Halles de Paris. Les fleurs étaient posées dans de grands paniers d’osiers (1mètre 20 par 80 cm et d’un mètre de profondeur). Aux roses s’ajoutaient, selon la saison, les pivoines de Chine, les pivoines blanches Le Moine, puis toutes les fleurs des plantes annuelles et vivaces.

Au carreau des Bagnolets

Vers 21 h, M. Lahaye, voiturier, venait ramasser les paniers. Il faisait la tournée de ses clients entre Montreuil et Bagnolet. Vers 1 h du matin, tous les paniers étaient déposés au carreau des Bagnolets, aux Halles de Paris. Quelques heures plus tard, à 2h30 du matin, Céline Graindorge prenait le bus devant l’église de Bagnolet afin de rejoindre le cœur de Paris. Il fallait alors déballer le contenu des paniers, préparer les étals afin que la vente commence vers 4 heures du matin. De nombreux fleuristes et marbriers lui achetaient sa production. Ainsi, jusqu’à ce que la cloche retentisse, les discussions allaient bon train.

 35 000 sacs pour les fruits

 La production de la famille Graindorge ne se limitait pas aux seules fleurs. Les murs à pêches entourant et structurant l’immense parcelle familiale permettaient le palissage de nombreux pommiers et poiriers. La taille était pratiquée avec art, l’élégance des formes allait de pair avec l’objectif de production. L’ensachage des fruits était de rigueur. « On posait de 30000 à 35000 sacs sur les fruits » se souvient Eliane. Une activité réservée aux femmes à laquelle elle participait avec sa mère, sa grand-mère et des amies de la maison. Les poires étaient commercialisées au moment de la récolte alors que les pommes cueillies en octobre mûrissaient en fruitier avant leur commercialisation en décembre. Les fruits étaient triés par grosseur (200g, 175g, 150g, 100g). Dès que le mandataire leur passait commande, il fallait conditionner les pommes en les plaçant une par une, séparées par un papier de soie, dans des cagettes dont les bord étaient garnis de frison. « Nous n’avions ni camion, ni voiture, nous n’étions pas organisés pour assurer les livraisons, alors tous les fruits passaient par un mandataire qui enlevait la marchandise », explique Eliane.

Au temps de la guerre

Pendant la guerre, Céline Graindorge comme de nombreuses horticultrices décide de poursuivre la production. Elle emploie des journaliers pour faire face au surcroît d’activité. « Ma mère était bien organisée, elle a continué toutes les productions avec ma grand-mère et le personnel dont elle a su s’entourer. Elle savait bien s’organiser », se rappelle Eliane. Des drames ont ponctué cette période : le premier et le plus fidèle employé, a été tué avec deux autres personnes lors de l’explosion d’un obus tombé lors du bombardement de Noisy. Céline Graindorge sera décorée chevalier du Mérite Agricole pour avoir tenu l’exploitation de 1939 à 1944 alors que son mari était à la guerre.

 La fin du métier d’horticulteur

Rentré de la guerre en 1944, Louis Graindorge reprend son activité. Jusqu’en 1962 la famille continuera son activité horticole. Céline Graindorge disparaîtra en 1960, à 56 ans. Jusqu’au dernier moment elle est allée vendre ses fleurs au cœur de Paris. A la même époque, la famille Graindorge fut expropriée de toute sa terre et de sa maison familiale pour le projet autoroutier qui débuta en 1962. Période très douloureuse pour Louis Graindorge qui avait alors 60 ans. Dépossédé de ses terres et restant seul avec sa fille unique, c’en était fini de la production horticole. « Les familles expropriées on cessé leur activité ou sont parties à 30 km de Paris là où la terre était moins convoitée » explique Eliane. Louis Graindorge, décoré Officier du Mérite Agricole par Jacques Duclos, député Maire de Montreuil, se replia sur une petite parcelle qu’il possédait à Montreuil où il fit reconstruire une habitation, celle dans laquelle vivent aujourd’hui, sa fille Eliane et son mari. Il reste de cette ancienne famille d’horticulteurs de Bagnolet, Eliane avec son beau sourire, son attachement si fort à ses enfants, ses petits enfants et à ce qui lui reste de cette terre familiale et puis, la rue Charles Graindorge (ancêtre de la famille), rue passant devant la place de la mairie et dans laquelle se trouve le «Clos à Pêche» de Bagnolet.

 Magalie Cayon

 

Association du « Clos à pêches »2, rue Charles Graindorge à Bagnolet                          Ouvert tous les dimanches de 10 à 12h.