Entretien avec Robert Boucot



Photos non libres de droits
contacter la SRHM


Ci-dessous, la "dame aux pêches", dont vous pouvez voir l'original dans le musée
Mr et Mme Robert Boucot

Au fond du musée de la société régionale d’horticulture de Montreuil, se trouve un des très rares tableaux illustrant l’histoire horticole de Montreuil: un portrait de femme appelé « la dame aux pêches » qui fut exposé par la société d’horticulture à l’exposition universelle de 1900. Cette femme qui, depuis plus de 100 ans, nous présente les pêches de Montreuil, s'appelait Marie-Madeleine Malot et est une ascendante de la famille Boucot. En 2003 nous avons donc souhaité rencontrer Robert Boucot, appartenant à l’une des plus anciennes familles de Montreuil. Un arbre généalogique de la famille Boucot dressé par Mme Girard, fait remonter la famille à 1789 avec l’ancêtre Jean-Nicolas Boucot. On trouve au fil de la descendance des noms bien connus à Montreuil : Lepère, Savart, Malot, Beausse et Chevalier. Contrairement à de nombreuses familles d’horticulteurs montreuilloises, les origines des Boucot ne sont pas bourguignonnes mais bien de l’Est parisien et plus précisément du 20ème arrondissement de Paris.

Des fruits pour le transatlantique

Robert Boucot, né en 1928, se retrouve bien rapidement orphelin. Il exerce alors dans l’horticulture auprès de ses cousins les Laurain. Jusqu’à 24 ans, il restera dans le domaine de l’horticulture mais, plutôt que de travailler directement la terre, il se spécialise dans le commerce de productions végétales au service d’une prestigieuse épicerie parisienne : l’entreprise Labie. A la différence de Fauchon, de Félix Potin ou de Courcelles qui possédaient des boutiques en plein Paris, Labie n’avait pas pignon sur rue mais fournissait en fruits et légumes de luxe les plus grandes tables du monde. « On fournissait la Compagnie Transatlantique », explique Robert Boucot : « les fruits étaient entreposés dans les frigos à Bercy, ils étaient livrés par train au Havre et, tous les mardis, le Transatlantique les embarquait pour New-York ». Robert Boucot se rappelle que certaines denrées étaient expédiées au Roi Farouk, à l’Etat Major américain installé à l’époque à Fontainebleau, en Suède…

Acheteur chez Labie

Pour se procurer les meilleurs fruits et légumes, l’entreprise Labie achetait à des producteurs de Montreuil mais également de Chambourcy, d’Orgeval, de Bobigny, de Maison Laffite, mais Robert Boucot est formel : « les meilleurs fruits étaient ceux de Montreuil : leur goût, le grain de la peau. L’ensachage et la culture en espaliers plaçaient les fruits de Montreuil loin devant les autres ». Chez Labie, l’acheteur était Mr Hautefeuille et, bien entendu, il n’achetait que du beau. Robert Boucot nous explique alors comment s’organisaient les transactions : «tout se passait par téléphone la nuit. Le producteur téléphonait chez Labie et proposait ses produits. Au petit matin, l’acheteur faisait son planning, passait voir les produits et proposait un prix. Lorsque l’affaire était conclue, j’intervenais pour conditionner les denrées ». C’était le rôle de Robert que d’apporter les caisses, la fibre et le papier pour conditionner les précieuses productions chez l'horticulteur. Un chauffeur passait ensuite pour emporter la cargaison aux entrepôts frigorifiques de Bercy. Robert Boucot se rappelle des fruits et des légumes qui lui sont passés entre les mains : les pommes Calville, les poires Commice, Louise Bonne, les melons Croumir, de la laitue emballée…

Les expositions de fruits

Sans nul doute, les expositions étaient une autre manière, pour les épiciers, de repérer les producteurs les plus performants. Elles permettaient aussi aux horticulteurs de se faire remarquer, de garantir ainsi les prix et d’assurer les débouchés de leurs productions. Robert Boucot a participé à certaines de ces expositions qui avaient lieu tous les ans à la salle des fêtes de la Mairie de Montreuil. « les cultivateurs mettaient en place des fruits ( pommes, poires) qui étaient directement achetés par les grandes épiceries. Labie achetait ainsi des lots entiers lors des expositions ». Ces expositions ont continué jusqu’à la 1ère guerre mondiale. Ensuite, le prestige de ces expositions a chuté, la société des cultivateurs a continué à les organiser mais de façon plus rudimentaire et surtout au profit des cultivateurs prisonniers de guerre.

Les pêches de la famille Boucot

« Nous avons été la dernière famille à cultiver les pêches », explique Robert Boucot. Un savoir-faire qui se transmettait de père en fils pour la culture et de mère en fille pour le conditionnement. « On vaporisait la Belle Beausse avant mûrissement, on effeuillait autour du fruit pour qu’elle rosisse, puis après cueillette on la brossait », explique Robert Boucot. Ensuite les pêches étaient conditionnées sur des ronds ou sur des paillons, en pyramides et sur feuilles de vigne. « il fallait savoir cueillir les feuilles de vigne afin que la queue ne blesse pas la pêche », explique ce connaisseur. C’est ainsi qu’à Montreuil la vigne était cultivée souvent en bordure des parcelles, non pas pour le raisin, qui faisait cependant une piquette appelée « mousseline », mais pour ses feuilles qui servaient à séparer les pêches et à les protéger lors du transport. Robert Boucot se rappelle avoir marqué des pêches selon la même technique que sur les pommes, avec des découpes de papier collées au blanc d’œuf. Les auvents débordant des chaperons permettaient de protéger les fruits des intempéries. La taille des pêchers était tout un art, Robert Boucot s’en souvient très bien : « il fallait les tailler et les dépalisser tous les ans pour les traiter à la nicotine, au savon noir et à l’alcool avant de les replisser à la loque en coinçant les clous entre deux brins d’osier tellement les trous dans les murs étaient devenus abondants et larges ».

En 1952, alors qu’il a 24 ans, Robert Boucot épouse « la fille Morlaix », également fille d’horticulteurs. Eux deux décident d’abandonner l’horticulture excepté au titre des loisirs. Cette expérience horticole aura valu à Robert Boucot de rencontrer de nombreuses personnes, de visiter de nombreuses exploitations et de garder des souvenirs très présents de cette période de sa jeunesse.

Philippe Schuller