Des fruits pour le transatlantique
Robert Boucot, né en 1928, se retrouve bien rapidement
orphelin. Il exerce alors dans l’horticulture auprès de ses cousins les
Laurain. Jusqu’à 24 ans, il restera dans le domaine de l’horticulture mais,
plutôt que de travailler directement la terre, il se spécialise dans le
commerce de productions végétales au service d’une prestigieuse épicerie
parisienne : l’entreprise Labie. A la différence de Fauchon, de Félix
Potin ou de Courcelles qui possédaient des boutiques en plein Paris, Labie
n’avait pas pignon sur rue mais fournissait en fruits et légumes de luxe les
plus grandes tables du monde. « On fournissait la Compagnie
Transatlantique », explique Robert Boucot : « les fruits
étaient entreposés dans les frigos à Bercy, ils étaient livrés par train au
Havre et, tous les mardis, le Transatlantique les embarquait pour New-York ».
Robert Boucot se rappelle que certaines denrées étaient expédiées au Roi
Farouk, à l’Etat Major américain installé à l’époque à Fontainebleau, en Suède…
Acheteur chez Labie
Pour se procurer les meilleurs fruits et légumes,
l’entreprise Labie achetait à des producteurs de Montreuil mais également de
Chambourcy, d’Orgeval, de Bobigny, de Maison Laffite, mais Robert Boucot est
formel : « les meilleurs fruits étaient ceux de Montreuil :
leur goût, le grain de la peau. L’ensachage et la culture en espaliers
plaçaient les fruits de Montreuil loin devant les autres ». Chez Labie,
l’acheteur était Mr Hautefeuille et, bien entendu, il n’achetait que du beau.
Robert Boucot nous explique alors comment s’organisaient les
transactions : «tout se passait par téléphone la nuit. Le producteur
téléphonait chez Labie et proposait ses produits. Au petit matin, l’acheteur
faisait son planning, passait voir les produits et proposait un prix. Lorsque
l’affaire était conclue, j’intervenais pour conditionner les denrées ».
C’était le rôle de Robert que d’apporter les caisses, la fibre et le papier
pour conditionner les précieuses productions chez l'horticulteur. Un chauffeur
passait ensuite pour emporter la cargaison aux entrepôts frigorifiques de
Bercy. Robert Boucot se rappelle des fruits et des légumes qui lui sont passés
entre les mains : les pommes Calville, les poires Commice, Louise Bonne,
les melons Croumir, de la laitue emballée…
Les expositions de fruits
Sans nul doute, les expositions étaient une autre manière,
pour les épiciers, de repérer les producteurs les plus performants. Elles
permettaient aussi aux horticulteurs de se faire remarquer, de garantir ainsi
les prix et d’assurer les débouchés de leurs productions. Robert Boucot a
participé à certaines de ces expositions qui avaient lieu tous les ans à la
salle des fêtes de la Mairie de Montreuil. « les cultivateurs mettaient
en place des fruits ( pommes, poires) qui étaient directement achetés par les
grandes épiceries. Labie achetait ainsi des lots entiers lors des
expositions ». Ces expositions ont continué jusqu’à la 1ère
guerre mondiale. Ensuite, le prestige de ces expositions a chuté, la société
des cultivateurs a continué à les organiser mais de façon plus rudimentaire et
surtout au profit des cultivateurs prisonniers de guerre.
Les pêches de la famille Boucot
« Nous avons été la dernière famille à cultiver
les pêches », explique Robert Boucot. Un savoir-faire qui se
transmettait de père en fils pour la culture et de mère en fille pour le
conditionnement. « On vaporisait la Belle Beausse avant mûrissement, on
effeuillait autour du fruit pour qu’elle rosisse, puis après cueillette on la
brossait », explique Robert Boucot. Ensuite les pêches étaient
conditionnées sur des ronds ou sur des paillons, en pyramides et sur feuilles
de vigne. « il fallait savoir cueillir les feuilles de vigne afin que
la queue ne blesse pas la pêche », explique ce connaisseur. C’est
ainsi qu’à Montreuil la vigne était cultivée souvent en bordure des parcelles,
non pas pour le raisin, qui faisait cependant une piquette appelée
« mousseline », mais pour ses feuilles qui servaient à séparer les
pêches et à les protéger lors du transport. Robert Boucot se rappelle avoir
marqué des pêches selon la même technique que sur les pommes, avec des découpes
de papier collées au blanc d’œuf. Les auvents débordant des chaperons
permettaient de protéger les fruits des intempéries. La taille des pêchers
était tout un art, Robert Boucot s’en souvient très bien : « il fallait
les tailler et les dépalisser tous les ans pour les traiter à la nicotine, au
savon noir et à l’alcool avant de les replisser à la loque en coinçant les
clous entre deux brins d’osier tellement les trous dans les murs étaient
devenus abondants et larges ».
En 1952, alors qu’il a 24 ans, Robert Boucot épouse « la
fille Morlaix », également fille d’horticulteurs. Eux deux décident
d’abandonner l’horticulture excepté au titre des loisirs. Cette expérience
horticole aura valu à Robert Boucot de rencontrer de nombreuses personnes, de
visiter de nombreuses exploitations et de garder des souvenirs très présents de
cette période de sa jeunesse.
Philippe Schuller
|