Quand nous l'avons rencontrée en 2003,Susanne
Orschel était toujours active. A 82 ans, juste avant la fête
des mères, elle préparait des nœuds avec des rubans et des fils de fer,
destinés à être piqués dans les fleurs ou les plantes en pots...
Comme beaucoup d’horticulteurs vivant à Montreuil, Susanne
Orschel a des racines bourguignonnes par son grand père. «Les bourguignons venaient à Paris se faire embaucher pour la saison de
travail » explique-t-elle. Son grand père s’est marié à une femme de
Villiers- sur-Marne. Le couple
s’installe alors à Montreuil et cultive les légumes, les fleurs et surtout les pêches.
Petit à petit, le couple parvient à acheter des parcelles de
terre et le fils prend la succession en continuant la production de fleurs de
printemps, notamment les tulipes, mais la famille excelle dans la
production des pêches.
Des pêches que l’on
brosse
Comme tous les enfants d’horticulteurs, Suzanne participe
très tôt à l’activité de ses parents. Alors qu’elle a entre 10 et 12 ans, elle guette le retour du verger
des hommes portant sur leur tête des noguets emplis de pêches. Les noguets sont
de larges paniers plats pouvant contenir deux rangs de pêches séparés par une
toile épaisse.
La mère de Suzanne réceptionne ces fruits colorés et mûrs à
point afin de les déposer un par un sur de grandes tables et les trie selon la
grosseur. A l’époque, ces fruits sont si précieux qu’ils sont uniquement vendus
à la pièce et que seuls les gens aisés peuvent se les offrir. Les fruits sont
alors soigneusement préparés et conditionnés avant d’être commercialisés.
La première étape consiste à les brosser afin d’éliminer le
duvet qui les recouvre. Une à une, chaque pêche est brossée manuellement avec
une brosse de poils de porc. «On se
mettait un torchon autour du cou, un autre sur la tête,…mais néanmoins on avait
du duvet partout», se souvient Suzanne. Cette activité dura jusqu’en 1960.
L’art de l’emballage
Quant au conditionnement, il est particulièrement soigné et
précis. Les longues soirées d’hiver sont consacrées à fabriquer des semelles de
paillon. A la saison des pêches, chaque semelle est garnie de feuilles de vigne
fraîches sur lesquelles sont déposées 6
pêches (2 rangs de 3). Également recouvertes de feuilles de vigne, ces pêches
servent d’assise à deux autres pêches. «C’est
la façon d’arranger les pêches en petites pyramides» explique Suzanne. Par
six, les semelles garnies de fruits sont placées sur un clayon en bois. Le tout
est recouvert de papier de soie et de fines fibres. L’emballage final, pour ces
48 fruits soigneusement emballés, est confectionné avec une toile de jute
attachée par des épingles. Les plus gros fruits sont, quant à eux, conditionnés
à l’unité ou par deux dans de petites boîtes en bois ou en carton.
«Les pêches n’avaient
pas le même goût qu’aujourd’hui », se rappelle Suzanne. Chaque fruit est
cueilli à point et la récolte, pendant la période de pleine production, est
quotidienne afin d’obtenir le meilleur de chaque fruit. C’est le moment où,
dans les parcelles, l’activité bat son plein. L’art consiste également à
effeuiller l’arbre autour du fruit afin que ce dernier bénéficie au mieux des
effets du soleil.
Des fruits toute
l’année
Mais le temps des pêches est bien court car, une fois
cueillis, ces précieux fruits doivent rapidement trouver preneur. Pour assurer
un revenu toute l’année, la famille de Suzanne s’est spécialisée dans le
commerce des pommes. Calville et Canada gris, sont achetées à des petits
producteurs montreuillois pour être entreposées dans de grands fruitiers, encore
visibles chez Suzanne Orschel.
Pesés à 25 grammes près et entreposés par calibre, ces
fruits se conservent pendant l’hiver et s’écoulent au gré des commandes. Le
père de Mme Orschel livrait les maisons Potin, le Bon Marché et les épiceries
Avenue Victor Hugo et Boulevard Malesherbes à Paris, assurant ainsi un
approvisionnement en fruits tout au long de l’année.
Le marquage des
fruits
Suzanne se rappelle avoir vu son père marquer des "Grand
Alexandre" et des "pomme d’Api". En septembre, des vignettes
ajourées (petit chat, moulin et autres motifs) sont collées sur les pommes. Exposés
au soleil, encore portés par l’arbre ou une fois cueillis, ces fruits
présentent ces motifs sur fond rouge.
Ces pommes ainsi marquées sont vendues avec une forte valeur
ajoutée. Le conditionnement des pommes est également très soigné. Chaque fruit
est entouré d’un papier de soie. Des fibres et du papier blanc sont placés sur
les côtés des caisses permettant de caler les fruits.
Du Bon Marché à
Rungis
Cette activité bien rythmée par les saisons et les années
qui se succèdent a été bouleversée par la création de Rungis. « On n’a plus eu le droit de commercialiser
directement nos fruits », explique Suzanne. Alors la famille s’organise et
va à Rungis vendre sa production.
Avec le temps, la disparition des anciens et des terres, la
production et la vente des pêches et des pommes s’étiolent. Les nouvelles
générations doivent se reconvertir. Avec son mari, Suzanne reprend les places
de marché de sa belle mère. Placés à Vincennes, ils vendent des fleurs dont une
partie est produite à Montreuil et l’autre achetée à Rungis. Aujourd’hui, sa
fille Claudine est installée à Vincennes où elle vend des fleurs.
Son fils, Michel a repris les marchés et cultive également
encore quelques hectares de fleurs d’où sortent des curiosités des siècles
passés : la rose mousse, petite rose très odorante pleine d’épines qui permet
de composer de petits bouquets en botte ; la rose de mai, minuscule rose qui se
marie bien avec le muguet…
Sur les parcelles entourées de murs à pêches, juste derrière
la maison familiale, Michel cultive encore des Chrysanthèmes, des dahlias, des
tulipes, des bleuets, des œillets, des campanules, de la camomille,…et des
légumes : épinards, radis, haricots verts, salades, blettes et rhubarbe.
A la saison des pommes, vous aurez la chance de trouver sur
son étal des Calville blanc d’hiver, la pomme traditionnelle de Montreuil,
souvenir d’une aventure horticole révolue.
Magalie Cayon
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