Suzanne ORSCHEL
 

Des pêches plein les noguets !


Suzanne Orschel

avec ses enfants Claudine et Michel
Michel derrière la maison familiale en 2001
Suzanne avec René Cardineau
qui a travaillé 35 ans pour la famille

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Quand nous l'avons rencontrée en 2003,Susanne Orschel était toujours active. A 82 ans, juste avant la fête des mères, elle préparait des nœuds avec des rubans et des fils de fer, destinés à être piqués dans les fleurs ou les plantes en pots...

Comme beaucoup d’horticulteurs vivant à Montreuil, Susanne Orschel a des racines bourguignonnes par son grand père. «Les bourguignons venaient à Paris se faire embaucher pour la saison de travail » explique-t-elle. Son grand père s’est marié à une femme de Villiers- sur-Marne.  Le couple s’installe alors à Montreuil et cultive les légumes,  les fleurs et surtout les pêches.

Petit à petit, le couple parvient à acheter des parcelles de terre et le fils prend la succession en continuant la production de fleurs de printemps, notamment les tulipes, mais la famille excelle dans la production des pêches.

Des pêches que l’on brosse

Comme tous les enfants d’horticulteurs, Suzanne participe très tôt à l’activité de ses parents. Alors qu’elle a entre  10 et 12 ans, elle guette le retour du verger des hommes portant sur leur tête des noguets emplis de pêches. Les noguets sont de larges paniers plats pouvant contenir deux rangs de pêches séparés par une toile épaisse.

La mère de Suzanne réceptionne ces fruits colorés et mûrs à point afin de les déposer un par un sur de grandes tables et les trie selon la grosseur. A l’époque, ces fruits sont si précieux qu’ils sont uniquement vendus à la pièce et que seuls les gens aisés peuvent se les offrir. Les fruits sont alors soigneusement préparés et conditionnés avant d’être commercialisés.

La première étape consiste à les brosser afin d’éliminer le duvet qui les recouvre. Une à une, chaque pêche est brossée manuellement avec une brosse de poils de porc. «On se mettait un torchon autour du cou, un autre sur la tête,…mais néanmoins on avait du duvet partout», se souvient Suzanne. Cette activité dura jusqu’en 1960.

L’art de l’emballage

Quant au conditionnement, il est particulièrement soigné et précis. Les longues soirées d’hiver sont consacrées à fabriquer des semelles de paillon. A la saison des pêches, chaque semelle est garnie de feuilles de vigne fraîches sur lesquelles  sont déposées 6 pêches (2 rangs de 3). Également recouvertes de feuilles de vigne, ces pêches servent d’assise à deux autres pêches. «C’est la façon d’arranger les pêches en petites pyramides» explique Suzanne. Par six, les semelles garnies de fruits sont placées sur un clayon en bois. Le tout est recouvert de papier de soie et de fines fibres. L’emballage final, pour ces 48 fruits soigneusement emballés, est confectionné avec une toile de jute attachée par des épingles. Les plus gros fruits sont, quant à eux, conditionnés à l’unité ou par deux dans de petites boîtes en bois ou en carton.

«Les pêches n’avaient pas le même goût qu’aujourd’hui », se rappelle Suzanne. Chaque fruit est cueilli à point et la récolte, pendant la période de pleine production, est quotidienne afin d’obtenir le meilleur de chaque fruit. C’est le moment où, dans les parcelles, l’activité bat son plein. L’art consiste également à effeuiller l’arbre autour du fruit afin que ce dernier bénéficie au mieux des effets du soleil.

Des fruits toute l’année

Mais le temps des pêches est bien court car, une fois cueillis, ces précieux fruits doivent rapidement trouver preneur. Pour assurer un revenu toute l’année, la famille de Suzanne s’est spécialisée dans le commerce des pommes. Calville et Canada gris, sont achetées à des petits producteurs montreuillois pour être entreposées dans de grands fruitiers, encore visibles chez Suzanne Orschel.

Pesés à 25 grammes près et entreposés par calibre, ces fruits se conservent pendant l’hiver et s’écoulent au gré des commandes. Le père de Mme Orschel livrait les maisons Potin, le Bon Marché et les épiceries Avenue Victor Hugo et Boulevard Malesherbes à Paris, assurant ainsi un approvisionnement en fruits tout au long de l’année.

 Le marquage des fruits

Suzanne se rappelle avoir vu son père marquer des "Grand Alexandre" et des "pomme d’Api". En septembre, des vignettes ajourées (petit chat, moulin et autres motifs) sont collées sur les pommes. Exposés au soleil, encore portés par l’arbre ou une fois cueillis, ces fruits présentent ces motifs sur fond rouge.

Ces pommes ainsi marquées sont vendues avec une forte valeur ajoutée. Le conditionnement des pommes est également très soigné. Chaque fruit est entouré d’un papier de soie. Des fibres et du papier blanc sont placés sur les côtés des caisses permettant de caler les fruits.

 Du Bon Marché à Rungis

Cette activité bien rythmée par les saisons et les années qui se succèdent a été bouleversée par la création de Rungis. « On n’a plus eu le droit de commercialiser directement nos fruits », explique Suzanne. Alors la famille s’organise et va à Rungis vendre sa production.

Avec le temps, la disparition des anciens et des terres, la production et la vente des pêches et des pommes s’étiolent. Les nouvelles générations doivent se reconvertir. Avec son mari, Suzanne reprend les places de marché de sa belle mère. Placés à Vincennes, ils vendent des fleurs dont une partie est produite à Montreuil et l’autre achetée à Rungis. Aujourd’hui, sa fille Claudine est installée à Vincennes où elle vend des fleurs.

Son fils, Michel a repris les marchés et cultive également encore quelques hectares de fleurs d’où sortent des curiosités des siècles passés : la rose mousse, petite rose très odorante pleine d’épines qui permet de composer de petits bouquets en botte ; la rose de mai, minuscule rose qui se marie bien avec le muguet…

Sur les parcelles entourées de murs à pêches, juste derrière la maison familiale, Michel cultive encore des Chrysanthèmes, des dahlias, des tulipes, des bleuets, des œillets, des campanules, de la camomille,…et des légumes : épinards, radis, haricots verts, salades, blettes et rhubarbe.

A la saison des pommes, vous aurez la chance de trouver sur son étal des Calville blanc d’hiver, la pomme traditionnelle de Montreuil, souvenir d’une aventure horticole révolue.

 Magalie Cayon